C’était le titre initial de l’article qu’on avait écrit avec Laurence Barry (co-titulaire de la chaire de recherche PARI – programme de recherche sur l’appréhension des risques et des incertitudes – placée sous l’égide de l’Institut Louis Bachelier en partenariat avec l’ENSAE/CREST et Sciences Po), la semaine dernière et qui a été publié sur le site du quotidien Le Monde,
Je mettrais l’article original en ligne plus tard, mais en attendant, je peux mettre en ligne un brouillon de la partie sur ce qui se passait en Californie (et qui présente l’avantage d’être en partie sourcé). Pour le cas français, je peux remettre un lien vers un court article qu’on avait écrit il y a quelques mois Rapport Langreney : lutter contre le désengagement des assureurs dans la couverture des risques climatiques
La Californie est la proie des flammes, et des images spectaculaires circulent dans les différents médias depuis une semaine. Le fait qu’entre 80% et 90% des maisons soient construites en bois, dans cette région, n’arrange pas la situation. Mais ces incendies donnent aussi un éclairage particulier sur les tensions qui existent sur l’assurance des catastrophes climatiques, et qui font écho à des discussions qui ont lieu en ce moment au niveau français, et Européen.
Les incendies qui ravagent la Californie ont commencé mardi matin dans le riche quartier de Pacific Palisades. Des vents violents atteignant au moins 80 km/h ont aidé les flammes à se propager rapidement, et mardi soir, l’incendie avait brûlé 12km², et forcé au moins 30000 personnes à évacuer la région. L’incendie d’Eaton s’est déclenché mardi soir près de Pasadena, et a brûlé au moins 4km² plus tard dans la nuit. Un troisième incendie, Hurst, aurait été brûlé près de San Fernando mardi soir, selon les autorités. Angeles National Forest a écrit sur X plus tard que la nuit où l’incendie s’était propagé sur environ 2km². À partir de mercredi, les incendies semblent hors de contrôle. Comme dans de nombreuses autres régions, ces incendies surviennent après des années d’austérité et des budgets serrés pour de nombreux organismes publics, comme le département de lutte contre l’incendie de Los Angeles (LAFD). En Californie, les lignes électriques (à haute tension) ont toujours été l’une des principales causes des incendies de forêt en Californie (theatlantic). En 2017, la majorité des incendies majeurs sont nés d’étincelles provenant d’équipements défaillants et mal entretenus, résultant de dizaines d’années de sous-investissements publics massifs (nytimes). Les informations les plus récentes laissent à penser que l’origine signalée de l’incendie de Palisades se trouverait sur le territoire du département de l’eau et de l’électricité de Los Angeles, et que des défaillances sur des lignes électriques auraient pu être la cause du premier incendie. Faute de pompiers pour combattre le feu, sur certains fronts, ce sont des détenus qui sont enrôlés et qui risquent leur vie (forbes). Dire que cette catastrophe était imprévisible, ou inimaginable, serait faire affront à de nombreuses mises en garde depuis plusieurs années, et on pourrait aussi penser à l’ouvrage de Mike Davis publié 1998, Ecology of Fear: Los Angeles and the Imagination of Disaster.
L’assurance dommage est à la fois un mécanisme de transfert et de partage de risques. Un transfert de risque car l’assuré achète la promesse de recevoir une indemnité adéquate si sa maison brûle. Un partage car l’assurance fonctionne par mutualisation, l’assurance étant la contribution financière d’un grand nombre de personnes pour couvrir les pertes subies par quelques personnes qui ont eu moins de chance. Les assureurs doivent, à la souscription, estimer les pertes annuelles futures, et trouver une manière juste de faire contribuer chacun à hauteur de son risque. Historiquement, l’assurance raisonne à grande échelle, mais l’idée de “personnalisation” des primes tend à laisser entendre que chacun payerait pour son propre risque (BD&S), ce qui n’est qu’une vue de l’esprit. En plus d’un aléa fondamental qui ne disparaîtra jamais, il reste toujours une part de risque non observable, qui fait que des personnes “moins risquées” finissent toujours par payer trop, ce qui permet parfois à des personnes plus risquées d’avoir une assurance à un prix abordable. Le mécanisme bonus-malus en assurance automobile en France permettait ainsi aux jeunes conducteurs d’avoir une prime financée en partie par les “bonus 50” (souvent leurs parents). À un niveau plus global, aux États-Unis, où les marchés d’assurance existent au niveau des États, une étude récente montre que les États les moins régulés finissent par financés les États les plus régulés, comme la Californie (SSRN).
Un autre élément plus spécifique aux grands risques est qu’il existe aussi un marché de la réassurance, permettant aux assureurs de s’assurer. Demander une prime qui représenterait un centième du prix de la maison permet à l’assureur d’indemniser, en moyenne, tous les assurés si la destruction de la maison survient dans l’année avec une chance sur cent. Mais si dans le territoire couvert, la moitié des maisons brûlent, l’assureur n’a pas les capacités d’honorer ses engagements, et d’indemniser tous les assurés. Sauf s’il a souscrit des contrats de réassurance, qui sont simplement des contrats d’assurance avec des franchises très élevés: si deux fois trop de maisons sont détruites par rapport aux estimateurs, les réassureurs couvriront cette portion. Cette réassurance a un coût, très lié aux évolutions globales des risques dans la région. Par exemple, entre 2017 et 2023, en raison de l’augmentation des pertes liées aux feux de forêt et aux ouragans, les prix moyens des couvertures de réassurance à travers les États-Unis ont plus que doublé.
L’assurance en Californie est un marché très particulier. C’est un marché très régulé, très influencé par les demandes des consommateurs, et historiquement peu cher, comparé aux autres États. À la fin des années 1980, la Californie a adopté la “Proposition 103” qui visait à protéger les consommateurs contre les augmentations arbitraires des taux et à encourager un marché concurrentiel, sous l’impulsion de l’avocat Harvey Rosenfield et de l’organisation Consumer Watchdog (wikipedia). Un commissaire chargé des assurances, Ricardo Lara (wikipedia) depuis 2019, est chargé de superviser et de réglementer le marché, en veillant à ce que les compagnies d’assurance respectent les lois et règlements de l’État pour protéger les intérêts des consommateurs.
Bien que la loi de l’État n’exige pas des propriétaires californiens qu’ils aient une assurance incendie, la plupart des prêteurs hypothécaires le font, il est probable que ceux qui ont obtenu un prêt pour acheter leur maison ont une couverture incendie. Relativement à la valeur des maisons, une étude récente (reuters) montrait que le montant de la prime dans le quartier de Pacific Palissades est moins élevé que 97% des codes postaux aux États-Unis. Et la Californie avait les taux de prime les plus faibles parmi les 50 États. Si payer des primes basses plait souvent aux consommateurs, cela ne permet parfois pas d’avoir un marché de l’assurance viable, la somme des primes collectés devant permettre d’indemniser les victimes d’accidents ou de risques divers. Aussi, en avril 2024, State Farm, l’un des plus grands assureurs privés de l’État, a annoncé qu’il avait annulé un total de 72 000 polices en Californie (apnews), amorçant le départ de plusieurs assureurs du marché Californien. À la même époque, Allstate estimait que les primes devaient augmenter en moyenne de 34%, beaucoup plus que les 7% autorisés par la loi. En quelques années, sept des douze principaux assureurs américains ont, a minima, restreint les nouvelles activités dans la région. Ce sont au final près de 3 millions de polices d’assurance qui n’ont pas pu être renouvelées (cnn). Ces retraits ont donné l’occasion de redévelopper le plan FAIR (Fair Access to Insurance Requirements), qui avait été créé à l’origine dans les années 1960 pour assurer les quartiers de Los Angeles en raison d’une émeute. La Floride, la Louisiane et le Texas ont des entités similaires, et le Colorado en a récemment créé une. Ce plan a été établi par l’État, mais il est géré par des sociétés privées, qui mettent en commun les risques. En Californie, il offre aux propriétaires dans les zones à haut risque une option de couverture, même si cette dernière est souvent plus chère que les primes proposées sur le marché traditionnel. Le plan avait été conçu pour être une solution temporaire, mais plus de Californiens comptent sur elle que jamais.
Les techniques de modélisation imposées aux assureurs traditionnels pour prédire les risques sont simplistes et d’une autre époque, ce qui semble étonnant pour un État considéré comme un acteur majeur en matière d’intelligence artificielle, et de modèles prédictifs. En Californie, les primes doivent être fixées sur la base des pertes observées au cours des 20 ou 30 années précédentes, ce qui signifie que les tendances prévues sur la base de données en temps réel ne peuvent être prises en considération. Entre 2003 à 2022, les feux de forêt ont brûlé en moyenne 4000 km² par an. Pourtant, entre 2017 et 2022, ce sont près plus 7500 km² qui brûlent tous les ans. Utiliser seulement les pertes historiques sans pouvoir anticiper un risque qui augmente, cela empêche d’avoir à son actif assez d’argent pour ensuite indemniser les assurés (apnews). Pourtant, la littérature scientifique montre que la saison des incendies au sud de la Californie est bien plus longue que par le passé, alimentée par des océans plus chauds, des sécheresses exacerbées et des vents violents qui arrivent à la fin de l’année. Pendant les générations, le début de l’automne a été considéré comme la saison des incendies dans la région, mais il n’est plus rare d’avoir des vents chauds et secs en janvier. Le gouverneur de Californie Gavin Newsom allait même jusqu’à dire qu’il n’existait plus de saison des incendies. Les modèles physiques s’accordent sur la hausse des risques, mais les assureurs n’étaient pas autorisés à augmenter les primes en conséquence. Un autre souci pour les assureurs est la demande de transparence, imposée par la Proposition 103. L’article 1861.07 du Code des Assurances stipule que les informations fournies au Commissaire peuvent être mises à la disposition du public pour inspection publique. Or les assureurs utilisent souvent des logiciels de modélisation de catastrophe pour qui les algorithmes peuvent être considérés comme un secret commercial, qui ne peuvent pas être divulgués.
En outre, jusqu’au mois dernier, les assureurs ne pouvaient pas répercuter les hausse des coûts de la réassurance. La Californie était alors le seul État qui ne permettait pas que le coût de la réassurance soit supporté par les preneurs d’assurance.
Qui plus est, les marchés financiers commencent à anticiper une suite d’événements en cascade, avec des maisons qui ne deviennent plus assurables et qui perdent massivement de leur valeur, un marché immobilier qui chute, et un effondrement potentiel de l’économie n’est alors plus très loin, comme le rappelle la crise financière de 2008. Sans chercher à légitimer des hausses illimitées de primes dans certaines régions, avec des prix exorbitants et inabordables pour la majorité des habitants, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les inefficacités du fonctionnement d’un marché d’assurance, et qui constatent leur échec (jacobin).
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Arthur Charpentier (January 22, 2025). Assurance des catastrophes : les routes de l’enfer sont pavées de bonnes intentions. Freakonometrics. Retrieved February 18, 2025 from https://doi.org/10.58079/134qp